Vincent, 26 ans, comparaissait au tribunal correctionnel de La Rochelle, le 30 avril dernier, pour violences habituelles sur une personne vulnérable, entre le 2 août 2010 et le 2 août 2013, à Surgères.
Il suffisait d’un regard en coin ou de la non-exécution d’une tâche ménagère pour que Vincent s’emporte contre son père, le rouant de coups à mains nues ou avec le manche d’un marteau, ou tout autre objet à sa portée, quand il ne lui tirait pas dessus avec un pistolet à billes. Une violence que le fils a exercée durant trois ans contre son père âgé, malade et handicapé mental. La victime idéale pour un fils despote ? Pas si simple.
Jugés incapables d’assurer l’éducation de leurs enfants, les parents ont perdu leur garde, un an après leur naissance. Vincent et son frère ont donc passé toute leur enfance et leur adolescence à aller d’une famille d’accueil à une autre, ne retrouvant leurs parents que lors de week-ends ou de vacances. Mais les retours à la maison familiale se sont révélés être un véritable calvaire pour eux. Et pour cause. Quand leur père ne les tyrannisait pas, il les violentait sexuellement, sans que la mère ne puisse s’interposer, en raison de sa fragilité psychologique.
Un enfant despote Si son frère a mis de la distance avec leurs parents, Vincent, lui, n’y est jamais arrivé. Une fois ses 18 ans passés, il s’installe chez sa mère pour échapper à la rue. Et commence à exercer des violences sur celle qui n’a jamais pu le protéger, la considérant tout aussi coupable que son père. Ces violences le conduiront devant le tribunal, puis en prison, avec interdiction d’entrer en contact avec elle.
Aussi, à sa sortie de prison, Vincent décide-t-il de demander l’hospitalité à son père pour, une fois de plus, échapper à la rue. Mais la violence, la rancœur et la souffrance qu’il porte en lui contre celui qui l’a abusé sont telles que la volonté de se venger va primer sur tout. C’est ainsi que l’enfant victime devient le bourreau de son ancien tyran.
Au moins à compter de 2011, tous les six mois, le père se retrouve à l’hôpital pour diverses blessures, qui ne mettent en alerte ni les médecins ni les infirmières, qui viennent lui prodiguer des soins à domicile. Le père ne se plaint d’ailleurs jamais et donne toujours des explications plus ou moins plausibles. « Non seulement, il est difficile de dire pour un père que son fils le violente, mais, en plus, il se trouvait confronté à un conflit de loyauté. C’est son fils. Il a des sentiments pour lui. Si, aujourd’hui, son fils le bat, c’est normal dans sa tête, en raison des abus sexuels qu’il lui a fait subir, enfant », explique Me Brice Giret, l’avocat du père.
La vérité finit cependant par éclater le 2 août 2013. Ce jour-là, une infirmière relève, lors de sa visite au domicile du père, des marques suspectes sur son visage, puis l’entend crier quand elle quitte l’appartement. Aussitôt, elle donne l’alerte aux gendarmes. Une enquête est ouverte. Le fils est entendu. Il avoue tout.
« Quand votre père vous demandait d’arrêter de le frapper, vous le faisiez ? », demande le président du tribunal, Patrick Broussou. « Des fois oui, des fois non », dit Vincent en baissant la tête. « Qu’est-ce que cela vous procurait quand vous le frappiez ? », l’interroge Me Brice Giret. « Rien. Il m’agaçait, parce qu’il faisait tout de travers. » « Que pensez-vous de tout cela, aujourd’hui ? », l’interpelle de nouveau le président. « Je regrette. »
« Il n’a jamais pardonné à son père » « Quels que soient les motifs, ces violences ne sont pas anodines, notamment celle qui consiste à tirer sur quelqu’un et à plusieurs reprises, sous prétexte de regards en coin », relève Me Brice Giret. Ce qui le fait douter de l’esprit de vengeance qui animerait Vincent. « Ces violences, plaide l’avocat, sont révélatrices de sévices, de surcroît répétés dans le temps. Son père est devenu son jouet. Cela dépasse la vengeance. Vincent n’a aucun regret. Il n’aime pas son père. Mais, pour autant, comment peut-on aller jusque-là ? » Et de demander pour son client, qui s’est constitué partie civile, une expertise médicale, avec un renvoi sur intérêts civils, ainsi que l’interdiction pour Vincent de s’approcher de lui, « car, si son fils vient sonner à sa porte, il ne sera pas en mesure de ne pas lui ouvrir ».
« De toute façon, renchérit la procureure, Valérie Gallot-Mercier, il n’a jamais pardonné à son père. À présent, il raconte qu’il n’avait pas le choix, car il vivait sous le même toit que lui. Sauf que ce n’est plus un enfant de 8 ans, subissant les violences de son père. Ce qui l’a motivé, c’est la colère. On peut comprendre, mais il est resté trois ans chez son père et l’a martyrisé. Monsieur, on ne se fait pas justice soi-même. Après vous en être pris à votre mère et à votre père, qui sera le suivant ? Votre frère ? » Elle requiert 3 ans de prison, dont 18 mois avec sursis et mise à l’épreuve durant 3 ans, des obligations de soins, de travail ou de formation, l’interdiction de rencontrer son père et l’obligation de l’indemniser.
Les faits à juger sont difficiles. L’avocate de Vincent, Me Marine Kervingant, le sait parfaitement. Mais « ces faits ne seront jugés correctement que s’ils le sont à la lumière de l’histoire de cette famille. C’est une vie de carences intellectuelles, affectives et éducatives. C’est aussi pour cela que Vincent ne sait pas ce qu’est l’affection, et qu’il n’a aucune empathie. Il est le fruit de ces gènes et de cette histoire. Son père ne parlait pas, il tapait. À force de péter les plombs, même sa femme a fini par partir », plaide-t-elle.
Difficile, dans un tel contexte, de ne pas éprouver du ressentiment et un sentiment de rébellion pour l’enfant maltraité. « Quand on est en conflit, on réagit par la violence. Ce n’est pas une excuse que je cherche pour lui, mais il a fait avec les moyens qui étaient les siens. Ses carences sont telles qu’il n’avait pas vraiment d’autre recours. Dépasser son sentiment de vengeance est, pour lui, impossible. Ce dont il a besoin, c’est d’une aide pour sortir de ça. Si vous l’envoyez en prison, il va perdre son appartement et une possibilité d’embauche imminente. Tous ces efforts d’indépendance seront réduits à néant. »
Le tribunal a entendu la plaidoirie de l’avocate de la défense. Il a condamné Vincent à 3 ans de prison avec sursis et mise à l’épreuve durant 3 ans, ainsi qu’à des obligations de soins, de travail ou de formation. Il lui est également interdit d’entrer en contact avec son père et il devra l’indemniser, une fois l’expertise médicale réalisée. « C’est une chance que l’on vous laisse en raison du contexte très particulier qui est le vôtre, mais c’est l’ultime chance qui vous reste. J’espère que vous la saisirez », a conclu le président du tribunal.
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