De Genève à Paris. De Paris à Lagord. Itinéraire peu ordinaire d’un informaticien de la haute finance devenu gardien de Mère Nature. Sébastien Wittevert est le créateur de Graines de Troc. Une association dédiée à la sauvegarde des semences anciennes et plus largement à la préservation de la biodiversité.
Qu’est-ce que Graines de Troc et pourquoi l’avoir créé ? L’idée a germé en novembre 2011. Une loi venait de passer interdisant l’échange de graines entre les agriculteurs. Ça m’a révolté ! Un mois plus tard, je lançais le projet. Au départ, il s’agissait d’un site internet sur lequel les gens pouvaient échanger leurs graines. Au bout de six mois, c’est devenu une association animant le site et proposant d’autres projets autour de la préservation de la biodiversité et de l’échange de savoir-faire. L’objectif étant que les variétés anciennes soient accessibles à tous afin de faire vivre cette biodiversité dans un maximum de jardins. C’est une façon de s’opposer citoyennement à l’homogénéité imposée par les semenciers. Aujourd’hui, près de 13 000 troqueurs partagent une collection d’environ 5 000 variétés de semences.
Avez-vous toujours été sensibilisé à ce sujet ? Pas du tout ! Avant, j’étais dans la finance de marché sur Paris et Genève. Lors de la crise des subprimes, je me suis retrouvé au chômage. Je suis revenu à Paris et j’ai créé mon activité de consultant en informatique financier.
Comment avez-vous “basculé” dans votre nouvelle vie ? De façon inattendue : je suis gourmand ! Mon boulot me laissait peu de temps pour faire les courses, alors, je me suis inscrit dans une Amap, là, le panier était prêt ! Ça m’a permis de découvrir un autre monde et aussi de rencontrer ma compagne Elsa. Avec elle, j’ai ensuite passé mes week-ends chez un agriculteur, pour aider. Puis, je me suis impliqué dans l’Amap, me suis rapproché du mouvement Colibri… J’ai ainsi été confronté aux problématiques environnementales. Ça m’a donné une bouffée d’oxygène, j’ai enfin eu le sentiment de vivre avec du sens, de retrouver de l’humanité, des valeurs.
La création de Graines de Troc a donc été une évidence ? Une évidence, oui. Même si autour de moi, on me disait « ton idée est super mais c’est gratuit, comment veux-tu vivre avec ça ? ». À cette époque, un facteur déterminant a conforté ma volonté de créer Graines de Troc. J’ai fumé de 15 à 30 ans avec l’idée que jamais je ne pourrais arrêter. Et grâce au livre d’Allen Carr “La méthode simple pour en finir avec la cigarette”, en une semaine, c’était réglé ! Je me suis libéré de quelque chose qui me semblait impossible. Ça m’a donné des ailes : je me suis dit, « si je suis capable de ça, je suis capable de tout ! »
Comment participer à Graines de Troc ? Il faut s’inscrire sur le site et mettre à disposition une liste de graines. Lorsque vous recevez des demandes, vous envoyez les graines au troqueur et en échange vous recevez des jetons permettant de choisir dans l’ensemble des graines disponibles. C’est une sorte de monnaie parallèle dédiée aux semences reproductibles. Nous n’acceptons pas les semences hybrides F1, créées par l’industrie semencière, qui sont pour nous l’une des causes de l’effondrement de la biodiversité ; elles ne sont pas reproductibles.
Pourquoi avoir quitté Paris pour vous installer à Lagord ? Au début, Graines de Troc était une activité parallèle à notre volonté avec Elsa de s’installer en maraîchage. Pour cela, nous nous sommes formés à la permaculture. Nous avons choisi la région de La Rochelle pour l’intérêt du climat pour le maraîchage et aussi en raison d’attaches familiales. Notre projet a aujourd’hui pris la forme d’un collectif visant à créer des fermes urbaines autour de La Rochelle.
Parallèlement, Graines de Troc a vite évolué… Oui, en 2013, nous avons créé la 1re grainothèque à la bibliothèque de La Petite Marche à La Rochelle. Sur le principe des Incroyables Comestibles qui proposent « de la nourriture à partager », nous avons mis en place « des semences à partager ». On a parlé du projet sur Facebook et dans la semaine 5 grainothèques ont été créées en France dont celle de la médiathèque de Lagord. Aujourd’hui on en recense 300 mais on en trouve aussi en Belgique, Suisse, Tchèque, Canada, Allemagne.
Graines de Troc a aussi lancé des projets à destination des enfants, quels sont-ils ? Ça a commencé en 2014 avec Drôles de graines, à l’école de Lagord. J’avais 200 variétés de tomates dans la collection, alors je me suis dit pourquoi ne pas demander à chaque enfant de semer une variété. Rapidement 10 écoles ont voulu participer. On a eu plus de 1 500 pieds de tomates. La mission c’était d’aller jusqu’à la graine de ces tomates-là. Les enfants devaient en garder et en envoyer ; une trentaine de collectifs s’est proposée en France pour faire le relais et recevoir les graines !
Et ça a continué… Oui, en 2015 on a créé Drôles de jardiniers à l’école de Laleu avec l’idée de jardiner avec les enfants. Comme on aime se lancer des défis, on s’est dit « si on ajoutait la dimension animale ? ». On a appelé ça Drôles de fermes. On a lancé la construction d’un poulailler en travaillant avec la même éthique que sur le végétal : prendre soin des espèces locales. On a donc inclus deux poules de Marans dans l’école. En 2 ans, on en est à 35 établissements participants en pays rochelais et douze fermes pérennes.
Quel a été l’accueil des enfants ? J’ai eu des expériences magnifiques : un élève qui ne parlait jamais et qui, au jardin, posait des tas de questions ; un autre, exclu de la classe parce qu’il la perturbait, qui a trouvé une espèce de sérénité au contact des animaux. Il y a beaucoup d’exemples comme ça. Les jardins et les animaux à l’école c’est extraordinaire.
L’association a beaucoup évolué en 4 ans. Où en êtes-vous ? Elle a pris une dimension importante. En février 2014, nous avons créé notre premier emploi, nous en sommes à 7. Ce qui donne aussi du baume au cœur, c’est que les graines que l’on sème ici, essaiment ailleurs : aujourd’hui il y a des projets Drôles de jardiniers à Paris, Angoulême, Annecy…
Quel regard portez-vous sur votre parcours ? Du jour où j’ai mis le pied dans une Amap, ma vision a changé. Je trouve que le monde de la finance n’a plus d’avenir. Je crois beaucoup aux monnaies complémentaires, ce n’est pas pour rien que j’ai mis ça en place avec Graines de Troc. Le seul avenir possible c’est le chemin qu’on prend tous ensemble. J’aime particulièrement le film “La voix du vent, semence de transition”, qui dit que si nous, de notre côté nous essayons de faire avancer les choses, lorsque l’on voyage on se rend compte que partout sur la planète, d’autres sont aussi en train de se lever. C’est un beau message d’espoir.
Propos recueillis par Christelle H.-Péguin
Une initiative citoyenne Il en va des idées comme des graines. Elles germent, s’épanouissent, fleurissent avant d’essaimer. Lorsque Sébastien Wittevert crée Graines de Troc se doutait-il que son projet de sauvegarde des semences anciennes prendrait autant d’ampleur ? Sa plateforme de graines reproductibles est devenue une association qui emploie 7 personnes et ses actions (grainothèque…) font des émules dans le monde. Le terreau est bon et les projets légion : boutique en ligne d’outils pour faire sa semence, Grainofête… Une aventure à suivre sur www.grainesdetroc.fr ou en intégrant le chantier participatif du mercredi au 85 bis rue du Clavier, à Lagord.
Bio express - 5 mai 2012 : Lancement de la plateforme Graines de Troc en ligne - 18 avril 2013 : Création de l’association Graines de Troc - 1er février 2015 :Premier salarié de l’association - 1er janvier 2016 : Le mot grainothèque fait son entrée au dictionnaire Hachette
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