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Départementales : les risques de l'abstention et du vote protestataire

Actualités​. Les élections interviennent dans un contexte “brouillé” pour les élus et les électeurs. Cela pose une série de questions qui entoure ce scrutin d’incertitudes. Essayons d’y voir clair avec l’aide de Dominique Breillat, politologue.

Départementales : les risques de l'abstention et du vote protestataire
Dominique Breillat : « La réforme territoriale vise à privilégier certains échelons et a pour conséquence de marginaliser le monde rural. »
[caption id="attachment_593" align="alignnone" width="630"]Dominique Breillat : « La réforme territoriale vise à privilégier certains échelons et a pour conséquence de marginaliser le monde rural. » Dominique Breillat : « La réforme territoriale vise à privilégier certains échelons et a pour conséquence de marginaliser le monde rural. »[/caption]

Les élections départementales interviennent dans un contexte « brouillé » pour les élus comme pour les électeurs. Cela pose toute une série de questions qui entoure ce scrutin d’incertitudes tout à fait inhabituelles. En particulier en milieu rural… Essayons d’y voir clair avec l’aide d’un politologue, Dominique Breillat*.

Les limites des cantons ont changé. Les élus ruraux dénoncent l’inanité du seul critère démographique. Selon eux, il y a un risque que voir la ruralité laissée pour compte par les futures assemblées départementales. Crainte infondée, selon vous ? Dominique Breillat : Il est évident que le nouveau découpage a réduit considérablement l’influence du monde rural. Un redécoupage était cependant nécessaire tant les écarts démographiques étaient grands entre cantons. Ainsi, avec 3 417 habitants, le canton de Tonnay-Boutonne élisait un conseiller départemental tout comme celui de La Jarrie, avec 24 179 habitants. Il y avait là une injustice flagrante au détriment du monde urbain. Mais le changement a été brutal, car, si le nombre des conseillers est resté le même, du fait de la parité et du système des binômes, le nombre des cantons a été divisé par deux, réduisant encore plus l’importance du monde rural. Il eut été préférable de faire un ajustement démographique, d’ailleurs exigé par le Conseil constitutionnel, en redécoupant les cantons, mais en maintenant le principe d’un conseiller par canton. Le changement aurait été ainsi moins brutal et psychologiquement mieux accepté.

Les candidatures ont changé. On ne vote plus pour une personne, mais pour deux, parité oblige, plus les deux suppléants, devenus remplaçants. Ajouté au redécoupage, cela crée une nouveauté : le quatuor des candidats, généralement, se veut représentatif des “quatre coins” du canton. Quel impact cela peut-il avoir sur l’électeur, qui, jusqu’ici, connaissait “son“ conseiller général ? Dans un cadre territorial plus restreint, l’électeur connaissait “ses“ candidats. Maintenant il y a en effet un équilibre géographique qu’on cherche à établir avec les membres du binôme et leurs suppléants. Mais cela conduit à une sorte de “brouillard“ pour l’électeur qui risque d’être conduit à l’abstention ou au vote protestataire. En outre, certains électeurs risquent de ne pas comprendre le système du binôme et de rayer l’un des noms, ce qui conduirait à un bulletin nul. La pédagogie du nouveau système a été bien insuffisante voire absente. On soulignera que, compte tenu des cantons qui disparaissent, de l’instauration de la parité - qui conduira à un conseil composé pour moitié de femmes dont la plupart seront de nouvelles conseillères - et enfin des conseillers qui ne souhaitent pas se représenter ou bien qui ne seront pas réélus, le conseil départemental sera une assemblée formée de 60 à 70 % de novices. Cela donnera un poids considérable aux quelques conseillers sortants réélus forts de leur expérience mais aussi aux services du département, le temps que les nouveaux élus fassent leur apprentissage.

Ce scrutin se déroule alors qu’on nous annonce un grand chamboulement des niveaux “département“ et “région“. Certains élus ou candidats estiment qu’on demande aux électeurs de voter “les yeux bandés“, puisqu’on ne sait pas aujourd’hui quelles seront les compétences futures des conseils départementaux, à l’issue de la réforme territoriale. Qu’en pensez-vous ? La principale critique qu’on peut émettre à l’égard de la réforme territoriale est son caractère “bâclé”. En effet, le Parlement est actuellement en train d’examiner la loi NOTR (Nouvelle organisation territoriale de la République) qui modifie les compétences des différentes collectivités territoriales. Or, cette loi a peu de chances d’être adoptée et promulguée avant le 29 mars. Comment des candidats peuvent-ils faire campagne sans savoir quelles seront les compétences du futur conseil départemental ? Ainsi, le projet de loi transférait les collèges aux régions. Le Sénat les a fait revenir aux départements. Qu’en sera-t-il à la fin de la procédure législative ? Compétence départementale ou compétence régionale ? Il s’agit pourtant d’un domaine majeur des départements. En outre, on ne sait combien de temps encore existeront les conseils départementaux. Le 8 avril 2014, le Premier Ministre Manuel Valls a annoncé la fin des conseils départementaux à l’échéance 2021. Ce calendrier sera-t-il maintenu ? De plus, et ce n’est pas sans incidence, le projet envisage de nouvelles intercommunalités d’au moins 20 000 habitants pour 2017 alors que l’encre des cartes des nouvelles intercommunalités de 2014 est à peine sèche. Mais surtout la grande lacune de cette réforme est qu’aucune loi relative aux finances locales n’a été envisagée. Or, c’est bien la question majeure.

Comme il faut 12,5 % des inscrits pour se maintenir au 2e tour, peut-on imaginer des cantons avec… un seul candidat au 2e tour ? Voire aucun ? Et si cela devait permettre la prise d’un ou plusieurs départements par le FN, n’irait-on pas vers une crise majeure pour le gouvernement Valls et le président Hollande ? L’hypothèse est peu envisageable car la loi prévoit que si un seul candidat atteint le seuil des 12,5 % ce sont les deux candidats arrivés en tête qui restent au second tour. L’hypothèse d’un candidat unique ne serait envisageable que si le candidat arrivé deuxième se retirait et si aucun autre candidat n’avait obtenu 12,5 % des voix des inscrits, dans ce cas le candidat arrivé troisième ne pourrait prétendre à être présent au second tour. Ce qu’on peut penser, c’est que les triangulaires seront très rares puisqu’on peut imaginer que la participation sera faible et qu’en conséquence, le seuil des 12,5 % sera rarement atteint. En revanche, la prise de départements par le FN n’aura juridiquement aucun impact. C’est sans doute différent sur le plan politique. Mais cela bouleversera peut-être encore plus les partis de la droite classique, comme l’a montré l’élection législative partielle du Doubs. Il est classique que les élections intermédiaires soient favorables à l’opposition. C’est par exemple ce qui avait permis à la gauche de remporter la quasi-totalité des Régions. Cela n’avait pas, pour autant, et c’est normal, conduit M. Fillon et M. Sarkozy à la démission.

Dans nos campagnes, tout est sens dessus dessous : les communes et intercommunalités sont à la diète par la baisse des dotations de l’Etat, la recomposition des intercommunalités s’est parfois faite au forceps et maintenant, on ressert le plat de la fusion de communes, sous l’appellation “commune nouvelle“… La réforme du mode de scrutin des “cantonales“, défavorable au monde rural, n’est-elle pas la goutte d’eau qui fait déborder le vase ? La réforme territoriale mise en place vise à privilégier certains échelons et a pour conséquence de marginaliser le monde rural. D’une part, le premier grand texte adopté a eu trait aux métropoles qu’on cherche à favoriser (loi de janvier 2014). D’autre part, on veut mettre en place un système avec, à la base, des intercommunalités importantes (20 000 habitants) et donc mettant à l’écart les petites communes, les petits territoires démographiques et des régions de très grande dimension qu’on qualifie “à l’échelle européenne“ ce qui n’a aucun sens. En Allemagne, s’il y a certes de grands Länder, la moitié ne dépasse pas 3 500 000 habitants et Brème, Hambourg ou la Sarre sont plus petits que le Poitou-Charentes. Aux États-Unis, le quart des États sont moins peuplés que Poitou-Charentes et on n’envisage pas pour autant de fusions. En outre, la loi sur le nouveau découpage des régions a supprimé toute possibilité de référendum sur les limites, ce qui est un déni de démocratie. La “commune nouvelle“ est, elle aussi, dans cette ligne du gigantisme. Comment les populations seront-elles consultées avec un véritable pouvoir de décision ?

Dans nos cantons ruraux, les candidats du FN se présentent en défenseurs des petites gens d’ici. Croyez-vous qu’en effet, nos campagnes deviennent des “zones de relégation“** des populations en difficulté ? La disparition progressive des services publics, des tribunaux aux bureaux de poste, montre cette marginalisation du monde rural. Il vaudrait mieux que l’on réfléchisse à des fonctionnaires polyvalents qui pourraient ainsi permettre l’exercice des missions administratives au plus près des citoyens. On constate qu’il y a là un terrain favorable pour le FN. Les dernières élections ont montré que le vote FN se “ruralisait“ alors qu’auparavant il était essentiellement urbain. Le caractère brouillé des élections départementales risque de conduire à un vote “national“ ne prenant pas en considération la personnalité des candidats et manifestant un caractère protestataire. Et pourtant, les citoyens doivent savoir que les départements sont une collectivité territoriale très importante. Il est dommage que le département soit mal connu. Il y a sans doute eu à son égard un déficit de communication. Pourtant, pensons à l’importance du département en matière sociale notamment (personnes âgées, RSA, personnes handicapées, etc.). Les électeurs devront y réfléchir et se déplacer pour voter en pleine conscience.

Propos recueillis par Olivier Lepoutre

*Dominique Breillat, professeur émérite de droit public à l’Université de Poitiers, doyen honoraire de la Faculté de Droit et des Sciences sociales de Poitiers, intervient régulièrement sur France 3 Poitou-Charentes et France Bleu.

**Dans “La France périphérique“, le géographe Christophe Guilluy développe la thèse d’une population en difficulté de plus en plus contrainte de s’éloigner des centres urbains, faute de moyens financiers, la campagne devenant ainsi une sorte de zone de relégation.

[caption id="attachment_402" align="alignnone" width="630"]Les électeurs sont appelés aux urnes pour les élections départementales, les 22 et 29 mars prochains. Les électeurs sont appelés aux urnes pour les élections départementales, les 22 et 29 mars prochains.[/caption]

Charente-Maritime : l’Enjeu Le conseil général est dirigé depuis 1985 par le centre droit. Et Dominique Bussereau, ancien ministre et député, en est le président depuis 2008. Le “patron” du département est candidat à sa propre succession. Avec la refonte des cantons, passés de 51 à 27, et la création des binômes homme/femme, l’arrière-pays s’inquiète de son sort futur, puisque cette réforme, en rééquilibrant la représentativité des élus sur le seul critère démographique, va diminuer la représentation rurale de la prochaine assemblée départementale. Mais quel est l’enjeu politique de ce scrutin ? Aucun accord n’a été passé ni à droite ni à gauche pour des candidatures uniques dès le premier tour. Cela devrait profiter au Front national, qui présente des candidats dans tous les cantons. La gauche, qui aurait logiquement pu profiter d’un vote plus urbain, n’est guère donnée gagnante… La grande inconnue du scrutin sera le taux de participation : il faut atteindre 12,5 % des inscrits pour se maintenir au 2e tour : si l’abstention atteint 50 %, ce qui semble probable, cela veut dire qu’il faudrait 25 % des voix pour pouvoir figurer en finale… Avec un rattrapage : au cas où une seule liste atteint le seul, celle qui suit immédiatement peut se maintenir. Bref, il ne devrait guère y avoir de triangulaires au deuxième tour.

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