Isabelle Autissier – La célèbre navigatrice est ancrée à La Rochelle depuis le début des années 1980. La course au large, la mer, l’écologie… Rencontre avec une femme d’engagement.
Pour sa troisième édition, le festival Les Mémoires de la mer, qui s’est tenu les 20 et 21 octobre à Rochefort, s’est offert deux parrains et une marraine de choix : l’académicien Erik Orsenna, l’explorateur Jean-Louis Étienne et la navigatrice Isabelle Autissier. À tout juste 66 ans, celle qui fut la première femme à accomplir un tour du monde à la voile en solitaire, est venue en voisine. Installée à La Rochelle depuis plus de quatre décennies, Isabelle Autissier est aujourd’hui une écrivaine accomplie.
Au printemps dernier sortait son dernier roman, Le naufrage de Venise, dans lequel la “Sérénissime” est en proie à l’inéluctable montée des eaux. Un récit d’anticipation qui fait écho à ses nombreux engagements pour le climat.
L’Hebdo 17 : Vous avez été la marraine du festival Mémoires de la Mer à Rochefort. Cette année, le thème était les tempêtes. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Isabelle Autissier : Il y a plusieurs entrées possibles. Il y a évidemment la tempête physique, la tempête maritime. Ce que j’ai trouvé intéressant lors de ce festival, c’est le terme “Mémoires” avec un “S”. Pour le débat auquel j’ai participé, on était sept marins de sept horizons très différents : pêcheurs, conducteurs de super-cargos, Marine nationale… On voit bien que le même événement maritime, on ne le vit pas pareil, on le pense et on s’y prépare différemment.
La tempête, c’est un imaginaire très fort pour les gens. Ce thème fait aussi écho à une sorte de “temps des tempêtes” actuel. On en a vu quelques épisodes depuis un certain temps avec le Covid, la guerre en Ukraine… et les autres sont à venir. On est un peu à la fin d’un modèle de développement, un temps agité dans lequel on va essayer de survivre, comme dans les tempêtes.
“Il y a un côté très esthétique
dans une tempête”
Des tempêtes, vous en avez traversé en tant que navigatrice. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Il y a différentes tempêtes, ce n’est jamais pareil. Tout dépend d’où elle arrive et du type de mer dans laquelle on se trouve. Après, il y a la force du vent selon les bateaux. Quand je suis sur un 60 pieds, un bateau de 18 mètres, la tempête arrive autour des 50 nœuds mais si je navigue sur un bateau de 7 mètres, le mauvais temps arrive à 30 nœuds. Il y a un côté très esthétique dans une tempête : les grosses vagues, la mer qui file, les nuages. Mais les marins de course, les marins professionnels, on s’y prépare beaucoup. On a inventé des choses, on a des formations, on a des plans A, B, C, et D. Donc on ne vit pas ça comme Monsieur Tout le monde qui fait le tour de l’île de Ré. La plus forte tempête que j’ai vécue, c’était en plein milieu du Pacifique avec des vents enregistrés à 87 nœuds (lire encadré). À partir d’un certain moment, on a le sentiment qu’on a fait tout ce qu’on savait faire et qu’après, c’est un peu “Incha’Allah”. Et c’est un sentiment assez rare quand on navigue, car en principe, on sait toujours un peu où on en est.
Entre un Éric Tabarly qui parlait de la mer comme un “vrai terrain de jeu” et une Florence Arthaud qui évoquait “un vrai territoire de liberté”, où vous situez-vous ?
Je n’aime pas trop l’expression « terrain de jeu » parce que ça a un sens un peu chosifié. Voir la mer comme un terrain de jeu pour les hommes c’est oublier qu’elle a une vie propre en dehors de l’humanité. La mer est un milieu en soi avec de la physique, de la chimie, de la biologie et des espèces. Contrairement à ces dernières, les hommes ne sont pas faits pour aller sur la mer. Nous, on est obligé d’utiliser des artefacts qui s’appellent les bateaux. On se l’est un peu approprié comme un terrain de jeu, comme d’autres humains ont décidé que c’était un terrain pour se nourrir, pour faire du commerce, pour faire la guerre. Ce sont des visions très utilitaristes.
Après, un espace de liberté… si on veut. Les contraintes ne sont pas les mêmes que sur la terre, évidemment. En mer, la première contrainte, c’est le temps qu’il fait. On ne va pas forcément où l’on veut, ce n’est donc pas la liberté absolue. Si j’ai un très gros vent dans le nez, je vais adapter ma stratégie. Par rapport à des contraintes de nos sociétés actuelles, comme le travail, le lieu de vie, les règles sociales, elles sont différentes en mer mais elles existent quand même. D’où ce sentiment de liberté car on change de registre. Pour moi, la mer est avant tout un lieu d’apprentissage, d’expérimentation, de connaissance mais aussi de plaisir et de bonheur ! […] Interview complète à retrouver dans notre édition du jeudi 27 octobre 2022.